Il y a 30 ans, l’affaire Daigle-Tremblay

Lise Gratton

Au Canada, le droit des femmes en matière d’avortement N’EST PAS UN DROIT ACQUIS. TENONS-NOUS LE POUR DIT.

Tu as moins de 35-40 ans, il est donc possible que tu ignores la décision ICÔNE au Canada de 1989, concernant le droit des femmes en matière D’AVORTEMENT.

Cette décision de la Cour Suprême faisait suite au courage, à la détermination d’une jeune femme de 21 ans à l’époque, Chantale Daigle, et au soutien de milliers de femmes et d’hommes du Canada-Québec  et de différents pays .

Résumé de l’affaire Daigle contre Tremblay

Après quelques mois de fréquentation, Chantale, enceinte, prend conscience que son conjoint devient de plus en plus contrôlant, possessif, autoritaire, jaloux et la maltraite physiquement. Elle quitte Jean-Guy Tremblay et prend la décision de se faire avorter à Sherbrooke Elle a 17-18 semaines de grossesse.

Tremblay apprend que Chantale part pour Sherbrooke dans le but d’arrêter la grossesse. Sans plus tarder il entreprend des démarches pour obtenir une injonction pour l’en empêcher. IL OBTIENT CETTE INTERDICTION de la Cour Supérieure du Québec PAR LE JUGE VIENS.

Chantale va en appel et le juge CHOUINARD DE LA COUR D’APPEL, le 26 juillet 1989, maintient l’interdiction pour Chantale de recourir à l’avortement.

MAIS LE LENDEMAIN …

27 juillet 1989 / MANIFESTATIONS MONSTRES, SPONTANÉES, COAST TO COAST ET AILLEURS SUR LA PLANÈTE, EN APPUI À CHANTALE .

Manif.

Du jamais vu au Canada.

En plein cœur des vacances estivales, des femmes et des hommes quittent le chalet, la tente, la plage, le boulot, la terrasse pour appuyer Chantale.

LÀ, C’EST ASSEZ ! AUCUN JUGE, AUCUN PAPE, AUCUN MÉDECIN, AUCUN CONJOINT ! C’EST AUX FEMMES DE DÉCIDER !

Au pied du Mont-Royal, après un violent orage, au sortir du métro ou du boulot, ou interrompant leurs vacances, j’ai vu plus de 10 000 personnes rassemblées pour affirmer que «c’est aux femmes de décider de poursuivre ou non leur grossesse». Là, y en a marre ! Y a toujours ben une limite ! 10 000$ sont recueillis pour aider Chantale.

J’ai vu des secrétaires de bureau, en talons hauts, monter le Mont-Royal, en appui à Chantale me dire ceci : « Moi je ne vais jamais aux manifs. Ce n’est pas mon truc. Mais là, y a une limite à toute ! Celle-là je ne la prends pas.  Mêlez-vous de vos affaires les gars ! C’est aux femmes de décider ! C’est à Chantale de décider !»

Partout au Canada et ailleurs au pays, ont lieux des manifestations en appui à Chantale.

« On ne pouvait pas croire que, la même année où l’on avait gagné devant la Cour suprême l’arrêt Morgentaler, après 20 ans de mouvement féministe très fort, on pouvait, tout à coup, faire face à des décisions comme celles-là. » Francine Pelletier se rappelle s’être insurgée du fait qu’un homme de la trempe de Jean-Guy Tremblay dicte aux femmes la façon dont elles devaient vivre leur vie. Chantale décide donc de mener sa lutte jusqu’à la cour Suprême du Canada.

EN TOUTE INDÉPENDANCE, CHANTALE DÉCIDE.

Chantale se refusait à tout contact avec les groupes qui l’appuyaient. C’était son affaire à elle. Elle ne désirait aucune influence extérieure. Sa famille, principale force d’appui pour elle, la supporte.  Aucun jugement, un appui moral inconditionnel. Chantale désirait respecter les lois. Sauf que celle-ci contrevenait à sa sécurité physique et mentale.

Elle prend donc la décision, SANS INFORMER SON AVOCAT, de contacter le Centre de Santé des Femmes de Montréal qui lui avait offert son aide, quel que soit l’aide demandée par elle.

Un soutien indéfectible

À cette époque je travaillais au Centre de Santé des Femmes de Montréal. Un comité de coordination est rapidement mis sur pied, il y a urgence. Nous rencontrons Chantale pour réaffirmer notre soutien dans la décision finale qu’elle prendra. Poursuivre ou ne pas poursuivre sa grossesse ?

Chantale est ferme. Elle veut avorter et que sa mère l’accompagne. Nous l’informons que les manifestant.e.s du 27 juillet, en soutien à sa décision, ont  contribué dans l’ordre de 10 000$ pour les frais occasionnés à la suite des événements. Ils serviront aux frais de notre déplacement, du séjour et des frais reliés à l’avortement.

Le médecin de Chantale a contacté une équipe médicale professionnelle de Boston. L’avortement est prévu. L’équipe médicale attend Chantale. Nous partons donc quelques jours plus tard.

Une équipe du Comité se dirige vers le domicile de la mère de Chantale où elles se terrent. Une bande de journalistes et qui sait, de peut-être d’anti-avortement, sont accrochée aux arbres voisins de la maison. Notre équipe réussie une diversion sans pareille qui leur permettra de s’échapper, quelques secondes, à l’insu du troupeau toujours suspendu aux branches des arbres. Puis constatant la fuite, une course folle s’en suit. Mais notre équipe les sème totalement et se dirige vers une sortie précise de la 10.

L’ autre équipe , dont je fais partie, se dirige en direction de cette  même sortie afin de prendre le relais et filer avec Chantale, sa mère , Marie-Paule /sage-femme et moi. 10,000 personnes nous soutiennent. Je les sens toutes présentes dans la voiture.

arc-en-cielLes douanes passées nous observons un immense arc-en-ciel devant nous.  Pas superstitieuses mais disons qu’on a toutes souri d’aise ….

À Boston, j’accompagne Chantale lors des différentes étapes de l’intervention et réponds à ses questions, la rassure. « Tout va bien aller Chantale ».

Marie- Paule veille sur Aline, mère de Chantale. Mère et fille sont très proches l’une de l’autre.

Le soir de la première étape de l’IVG, Marie-Paule et moi faisons parvenir un message codé à l’autre équipe restée à Montréal.

Le lendemain, la suite de l’intervention se déroule très bien.  Chantale et Aline, sa mère, sont bien entourées par l’équipe nursing formidable et nous.

Pour nous quatre, un soulagement incroyable est ressenti. C’est palpable.

 

chantal livre

Le retour vers le Québec se fait presque dans l’allégresse. Nous déposons Chantale et sa mère à un terrain de camping où le conjoint d’Aline les attend.

J’informe Chantale des observations à surveiller suite à un avortement tardif. Elle peut me rejoindre en tout temps.

Et la Cour Suprême alors… décide !

Chantale es-tu encore enceinte, lui demande au téléphone une associée de son avocat, en place à Ottawa.   Une rumeur circulait à l’intérieur des murs de La Cour que Chantale avait avorté.

Après quelques secondes d’hésitations, de peur, Chantale répond… non.

Non. Chantale n’avait pas le choix de contrevenir à la décision de la Cour d’Appel du Québec qui lui interdisait de recourir à l’avortement.  La Cour Supérieure et la Cour d’Appel du Québec, informées du contexte de violence conjugale que subissait Chantale, maintenaient leur refus à l’interruption de sa grossesse. Une violence surajoutée à celle qu’elle vivait depuis plusieurs mois et qui se poursuivait dans le cadre de cette poursuite initiée par J.G. Tremblay.

Maître Bédard, un des avocats de Chantale, a toutefois souligné qu’il souhaitait que l’audience se poursuive étant donné l’importance que revêt la décision du procès pour sa cliente et pour d’autres femmes québécoises et canadiennes. Au terme des audiences, les juges de La Cour Suprême du Canada à l’unanimité, donnent leur verdict « seule la femme peut décider ou non de mener sa grossesse à terme ». « Le fœtus n’est pas un être humain au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. Le Code civil du Québec ne consacre pas la personnalité́ juridique du fœtus. Il n’existe aucun fondement juridique permettant à un père d’exercer un veto sur le fœtus que porte une femme, lequel fœtus fait partie du corps de la femme. Le fœtus n’a aucun droit juridique … ». Aucun droit ne peut être considéré comme acquis. Soyons vigilantes !

Mob. servante écarlate

Des lois rétrogrades, sur l’accès à l’avortement ont récemment été votées dans certains états des États -Unis.

Après 46 ans d’existence de la loi Roe légalisant depuis 1973 l’accès à des avortements sûrs aux E.U., quoique chaque état est libre de l’appliquer ou non et à ses conditions, voilà que la droite religieuse monte au front, en souhaitant remettre en question la loi Roe.

Deux juges, d’obédience républicaine, mis en place par Trump à la Cour Suprême, donne la majorité aux juges anti- avortement. C’est une terrible menace pour les femmes vivant dans certains États où la légalisation de l’avortement est inexistante, réduite ou en voie de l’être.

Voir le commentaire (1)
  • Merci de rafraîchir la mémoire de toutes et tous. Effectivement rien n’est jamais garanti. Vigilance, vigilance.

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