Je ne saisis pas! Je ne comprends pas!
Août 1969, j’ai 21 ans et je travaille à l’hôpital St-Jean-Eudes au Havre St-Pierre.
Mes colocataires, comme moi, travaillent à l’hôpital et originent du sud, soit des Cantons de l’est, de la Beauce, etc…
Nous décidons, un bon dimanche, d’aller à Mingan pour acheter de l’artisanat fait par les Montagnaises du village. Une de mes colocataires me dit qu’elles font du beau travail. Il n’y a pas de boutique. On se rend à un endroit en particulier et de leur maison, les femmes du village nous voient et s’appellent pour s’aviser l’une et l’autre que nous sommes là.
En effet, 10 minutes plus tard elles arrivent. C’est la première fois de ma vie que je vois des Indiennes. Sans plus attendre et sans rien demander, je sors ma petite caméra et prends une photo du groupe. Soudain, je réalise que la majorité d’entre elles ont le dos tourné à la caméra. Je ne saisis pas, je ne comprends pas.
Dix jours plus tard, je vais chercher mes photos nouvellement développées. Je m’empresse de les regarder et je remarque soudainement que sur la photo de groupe des femmes de Mingan, l’une d’entre elles, celle du centre, me tire la langue. Une vraie grimace… Je ne saisis pas, je ne comprends pas, jusqu’au jour où…
Depuis plus de quatre décennies, j’ai revu cette photo à quelques reprises. À chaque fois que mon regard croisait cette photo, un malaise montait en moi. Jamais par contre, je n’ai poussé ma réflexion plus loin que ceci : « si elle n’était pas d’accord pour être prise en photo, pourquoi en plus, me faire une grimace? »
J’avais l’impression nette qu’il y avait quelque chose que je ne saisissais pas et qu’un jour….. C’est le seul motif qui justifie de l’avoir conservée.
Puis, dans ma vie de femme engagée à La Marie Debout, est arrivée Catherine Joncas du Théâtre Ondinnok. Un travail commun et patient de création et de mise en contact avec une parcelle de la culture, de la spiritualité et de la générosité autochtones a tôt fait de me faire prendre conscience de l’existence antérieure et encore présente par moment de mon attitude colonialiste envers les communautés autochtones.
Cette jeune femme qui grimace sur la photo et les autres qui tournent le dos à ma caméra manifestent leur résistance face à mon comportement condescendant en les traitant comme des choses que je m’approprie. C’est du racisme!
Ce ne fut pas facile pour moi de le reconnaître et ce, publiquement. Mais j’avais besoin de le faire. Comme pour réparer. Mais est-ce suffisant de dire pour réparer?
En ce moment, je participe avec des femmes de La Marie Debout, et ce toujours en collaboration avec Ondinnok, à pousser notre réflexion sur la façon d’aller vers l’autre. Comment offrir le meilleur de nous à l’autre. Oui, c’est un travail à long terme. En même temps se trace en moi, dans chacune de mes cellules, un chemin vers ces femmes de Mingan qui ont aujourd’hui mon âge et même plus. Nous sommes maintenant des aînées. Cette histoire n’est pas terminée. Le silence est source de maturation. L’espace m’est encore nécessaire pour entendre.
De 1972 à aujourd'hui, du théâtre engagé aux centres de femmes, en passant de longues années à militer à l'intérieur du mouvement syndical et d'un groupe de gauche, je suis depuis les années 1980 fortement interpellée par le droit des femmes à avoir accès à des services professionnels, sécuritaires et gratuits d'avortement. Ma rencontre et ma collaboration avec le mouvement des femmes a été pour moi, et le demeure, une étape très significative dans mon engagement social, politique et féministe.
En juin dernier à Rimouski, 2018, au Congrès de L’R des centres de femmes , cet article a refait surface pour souligner l’apport des ainées sur le chemin des médias sociaux . Nous sommes là, présentes , vivantes et soucieuses de partager notre savoir, notre expérience de vie….nous continuons de marcher dans le sentier
Lise Gratton
Bonjour lise et Agathe! Contente de vous lire! Je suis tellement d’accord avec ce que tu écris Agathe! En visitant le Pérou l’automne dernier, j’étais dans la même réflexion que toi Agathe. Parfois j’ai donné des sous dans les zones touristiques mais ailleurs, ne parlant pas la langue, j’ai souvent hésité à prendre des photos et celles que j’ai prises, je ne les ai pas partager.
Encore en réflexion!
Nicole
Bonjour Lise,
Merci pour ce beau partage qui m’a donné des frissons. Il me fait réfléchir sur mon rapport à la photo dans un pays étranger comme ici au Sri Lanka. Le plus souvent possible, je demande aux gens s’ils acceptent que je les prenne en photos, mais parfois je dérobe leur image sans leur permission. Par contre, j’accepte aussi qu’on prenne en photo mon fils ou moi-même car ça va dans les deux sens. Au début, ça m’agacait un peu et après je me suis dit que c’est donnant donnant! Mais je dois dire que tu m’amènes à réfléchir un peu plus sur mes gestes:
Est-ce que je m’approprie leur image avec un esprit de colonisatrice? un esprit de voyeurisme?
Est-ce que je les considère comme des objets, des trophets?
Est-ce que c’est du mépris, un manque de considération, du racisme, de la curiosité? Ouf je ne sais pas. Faudrait un « Dîner J’aime mon centre » pour en discuter!!hehehe
Merci et peut-être qu’un jour tu iras à la rencontre de ces femmes de Mingan !!Ce serait magnifique!!!
J’ai si hâte que vous me partagiez votre expérience cette année avec Catherine.
Tes photos sont superbes!!
Bises caniculaires de Colombo!!!
Message très touchant, qui nous force tous à réfléchir à notre comportement à l’égard des personnes différentes dans nos sociétés, particulièrement aux Autochtones, qui méritent certainement d’être respectés.