Sur la courtepointe de vitraux de Véronique Morel

Noëlla Thomas

C’est sur la pointe des pieds que j’ose avancer et c’est en ressentant un certain malaise que je me permets de venir ajouter ma réflexion à «l’œuvre» de cœur et de temps de cette auteure qui porte hautement et fièrement le flambeau des nôtres et des siens, celui de nos ancêtres bâtisseurs, tant hommes que femmes.

CourtepointeLivre - 23-04-2018LMD

Je ne veux pas que mes «mots» viennent masquer des torrents de beauté d’images riches. Je ne me fais que pâle reflet de lectrice où je me suis fondue entre les lignes des cristaux-vitraux en reprenant contact avec la vie donnée sans mesure des Religieuses de cette époque.

D’abord des liens de comparaison se sont imposés bien malgré moi: celui des Sœurs de Sainte-Croix et des Dames de la Congrégation des femmes dépareillées à qui je dois formation et éducation. Elles, et d’autres communautés ont marqué du sceau de la discipline et de la rigueur intellectuelle et morale, la génération des «baby-boomers» entres autres. Elles partagent passion et générosité de leurs aïeules, lesquelles Véronique évoque grandement dans ses Nouvelles. On y rencontre, en filigrane, Soeur Catherine de Saint-Augustin derrière chaque paragraphe, pour ne pas «dire» , contenue dans chaque ligne…

Au-delà de l’univers dans lequel cette lecture me ramenait, je devais bien m’accrocher. Quelques jours d’éloignement, et on perd l’atmosphère créé: C’est que Véronique Morel nous transporte (en) des siècles très loin derrière à perte de vue…Il en subsiste bien des relents qui flottent comme de vapeur dans une forme d’inconscient collectif, mais à la condition d’en entretenir la mémoire.

Les onze vitraux se confondent parfois avec les quatorze stations du Chemin de la Croix. Le quotidien des personnages évoqués est décrit à travers luttes et difficultés sans nom.

picture_news.phpConduits dans la cellule de Soeur Ste-Catherine de St -Augustin, nous sommes témoins du calvaire qu’elle traverse. Madame Morel nous la présente en proie avec sa sensualité, sa chair affamée contre lesquelles elle se défend contre le «Malin» . Ainsi en est-il des autres jeunes filles parisiennes ayant tout quitté pour se donner à Dieu. Après ces nuits épuisantes , dès le matin, elles ne regardent pas à la tâche . Soeur Catherine veille sur «la ruche» avec une patience infinie. Chaque action s’accomplit dans le sourire et la bienveillance. Elle et ses compagnes pansent les blessés, encouragent les colons au prise avec leur installation…etc..etc..et ce du matin jusqu’à la nuit tombante.

Chaque personnage amené dans les nouvelles s’insère dans un monde, un contexte qui lui est propre. Parfois, le récit se veut fidèle à ce qui est rapporté dans les «Relations des Jésuites» ou autre bibliographie, parfois il est davantage rattaché à l’imaginaire de l’auteure ce qui en intensifie l’intérêt et la qualité de l’œuvre, ainsi que de «l’écriture». Véronique habille le cœur de ses personnages. Elle leur donne vie, âme et décor. Et c’est bien là où on sent la prédilection, le traitement très particulier à sa «Religieuse préférée». Chaque ligne baigne dans des eaux couleur de chapelle, de prière, de silence dans un recueillement absolu. Des coulisses d’eau bénite suinte le long des vitraux… L’auteure sillonne entre la poésie des saisons, du temps qu’il fait et du vécu des arrivants, nos premiers colons qui viennent s’arracher une ire sur les terres de Cain.

Plusieurs séquences gagneraient à se prêter à un montage cinématographique.

Pour des étudiants du secondaire, il me semble qu’on leur permettrait d’aborder une ou des tranches d’histoire sous un jour plus captivant que ce qui est restitué dans les manuels scolaires. La « saveur» de ces pages se résume à de hauts faits d’arme accompagnés de leurs dates marquantes…

marie-rolletD’autre part, cette génération, pour ne désigner que celle-là, à qui on reproche d’écorcher la langue française, tant à l’écrit qu’à l’oral—faute d’avoir été privée de dictées, entre autre— aborderait un texte où Véronique fait preuve de précision, de souci du mot bien traité. Elle raconte en marchant dans les pas de ce qui fut, avec des phrases brodées de fine dentelle à couleur d’époque. Une surenchère d’images éclatantes ou abondance de vocabulaire trié sur le volet, contribuent à nous amener avec bonheur en des lieux où on renoue avec Marie Rollet, avec des femmes mystiques dans des monastères, etc. De surcroît, elle relate les débuts de l’histoire du Québec à ses tout premiers balbutiements. C’est notre arbre généalogique qui se montait tout lentement de branche en branche comme le mentionnait joliment en d’autres pays, notre auteure.

Elle nous parle également de ces femmes fortes dont nous sommes issues, et de femme en femme, tels des maillons d’une chaîne, un beau jour, nous voilà ! Un bond gigantesque dans l’espace-temps! Et Véronique réfère indirectement à ces temps mémoriaux, en citant un certain abbé Morel, comme quoi, nous ne sommes pas d’une première fournée.

En guise de conclusion, j’accuse le fait d’avoir mis de côté le détail, la minute de tant d’autres aspects qui prouvent que notre « écrivaine» fouille dans tous les registres disponibles pour nous instruire, à preuve sa recherche sur les herbes médicinales , entre autre. Sa plume légère et curieuse nous dirige dans le dédale des lieux où elle nous partage le fruit de connaissances acquises à grand renfort de travail et d’acharnement.

Madame Morel a accouché de la «Courte pointe» non pas après une «grossesse» de neuf mois mais…de neuf ans.

Une vie mystique germait en elle pendant tout ce temps. Que d’interrogations en découlent…

Pour avoir porté Soeur Catherine de St -Augustin en son sein (d’où elle entendait l’appel d’ailleurs) là même où ses enfants ont «dormi» eux aussi, mais beaucoup moins longuement, comment a vécu Véronique ?? Comment s’est-elle « sentie » pendant ces deux gestations diamétralement opposées ? Ressentait-elle une vie de «cloîtrée» poussée dans ses entrailles ?

Si les karmas reposent sur une certaine «fondation crédible» pourrait-on avancer que Véronique a assumé une «mission religieuse» pour suppléer à une autre tranche de vie où sa laïcité lui avait fait «avorter»  cet engagement spirituel? Ou …Sœur Catherine serait réincarnée en Véronique ? D’où la naissance d’un livre…

Ces effluves flottent dans mon esprit bien que j’en aie refermé les pages. Il n’y a pas que le résultat de ce grandiose travail de moine qui subsiste …il y a les intentions de l’écrivaine qui m’habitent…

Madame Morel ne m’est pas qu’une énigme qui me colle en tête, elle est également une poétesse, une auteure de belle qualité à qui revient un grand mérite stylistique. Admiratrice de vos « mots » et de la façon dont vous les faîtes vivre.

Voir les commentaires (3)
  • Elles sont étoffées, ces réflexions!
    Noëlla, vous avez lu mon livre avec les yeux du coeur, et tant de minutie. Vos mots me touchent, me comblent, me renvoient au plus profond de mon âme.
    Je vous remercie de tant de générosité.

  • J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.

  • Bonsoir femmes réseautées et engagées de LMD,

    femmes assoiffées de poésie prosée qui chantent les difficiles récits de vie d’il y a plusieurs siècles et à celles aussi qui s’aventurent à réfléchir sur les oeuvres écrites de ses compagnes de route.

    J’apprécie ces partages, ces échanges culturels entre nous. Des toiles de mots.

    lise Gratton 514-240-1838

    Le lun. 10 déc. 2018 à 14:40, Femmes réseautées et engagées – La Marie Debout a écrit :

    > femmesreseauteesengagees posted:  » Réflexions par Noëlla Thomas C’est > sur la pointe des pieds que j’ose avancer et c’est en ressentant un certain > malaise que je me permets de venir ajouter ma réflexion à «l’œuvre» de cœur > et de temps de cette auteure qui porte hautement et fièreme » >

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