À qui, à quoi je me sens appartenir ? Ma filiation de femmes, de criaturas, les fils qui me relient. Je suis transhistorique…

Mahta Riazi

Dans la prière de groupe. Les vendredis soirs à la mosquée. J’appartiens au mouvement des centaines de femmes qui se lèvent et qui retombent ensemble. Je bouge avec elles. Je ne sais plus où je finis et où la femme à côté de moi commence. Nos contours se mélangent et je me sens perdue de façon magique. Je n’ai pas peur.

« Tu as les yeux de ta grand-mère », me disait Babaji. Je ne sais pas ce qu’il faut répondre. Quand j’avais six ans, cette phrase m’a rendue fâchée un jour. « Ce sont MES yeux », ai-je crié. Les adultes trouvaient ça drôle. Ils buvaient leur thé et ils riaient, ils riaient. Six ans, et je ne voulais appartenir à personne.

Je tiens entre mes mains une photo de ma grand-mère. Je n’ai jamais rencontré cette femme. Ses yeux sont noirs et froids. Je me regarde dans le miroir. Mes yeux sont curieux.

Ma famille est en randonnée dans les montagnes. C’est le mois d’août. Il fait chaud. L’air est sec. Téhéran est sous nos pieds. On arrête pour prendre notre petit-déjeuner. Au loin (ou plus loin… Mahta a écrit : dans la distance), il y a un arbre, tout sec, presque mort. Il ne reste qu’une seule feuille. Si tu fixes ton regard, tu peux voir une petite fleur jaune qui est toujours là, qui refuse de tomber. Je commence à pleurer. Personne ne comprend pourquoi. Soudain, il y a une main qui prend la mienne. C’est ma tante. Je regarde son visage. Elle pleure elle aussi, ses yeux fixés sur la même fleur jaune. Ma tante a de grands yeux verts qui ne ressemblent pas du tout aux miens. Mais dans cet instant, nos yeux sont identiques, fixés, sans mot, sur le même endroit. Et je ne sais pas où moi je finis et où elle commence.

Voir le commentaire (1)
  • Matha, Matha , et tu es aussi écrivaine……….Mais quel puissant témoignage Matha.
    Le fil qui te lit à ta tante, cette âme soeur ………..phénomène qui transcende les âges, tu le démontres magnifiquement . Je sens dans ton récit la puissance qu’engendre la reconnaissance tangible d’un angle de notre filiation de femmes …

    C’est un texte-lumière pour moi . Merci à toi

    Lise Gratton

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