La Marie Debout contre les précarités genrées

Marie Langagée

Ce discours a été rédigé par le Comité 12 jours de La Marie Debout. Il a été lu à l’occasion d’une levée de drapeau blanc organisée conjointement avec le centre Info-Femmes et leur projet Opération Cocon au bureau de la mairie de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve le 24 novembre 2023. 

Nous sommes ici réunies pour souligner le début des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes. Pour 2023, le comité du même nom nous propose une campagne qui s’intitule : Précarité genrées, violences ignorées.

À La Marie Debout, centre de femmes d’Hochelaga-Maisonneuve, cette thématique nous touche particulièrement. Notre quartier est historiquement défavorisé et un stigmate de pauvreté lui est attribué dans l’imaginaire collectif.

Une membre du conseil d’administration de La Marie Debout habite le quartier depuis 56 ans. Elle a vu le quartier beaucoup changé. Ce n’est pas nouveau de voir de la misère dans Hochelaga-Maisonneuve, mais selon elle, la misère est plus criante et la violence est plus visible. Dans ce climat, elle vit de plus en plus d’insécurité à se déplacer dans son quartier.

Ayant pignon sur rue Sainte-Catherine Est, nous sommes aux premières loges pour constater une exacerbation de la détresse des femmes en situation de pauvreté et d’itinérance. Alors que le coût de la vie atteint des sommets et que la crise du logement bat son plein, les femmes sont les plus grandes perdantes. Les femmes ne trouvent pas d’appartement ni même de place en refuge, les femmes ont faim, les femmes sont épuisées. Surtout, les femmes sont invisibilisées.

Il y a de plus en plus de femmes dans la rue et celles qu’on y voit ne sont que la pointe de l’iceberg. L’itinérance des femmes a ceci de caractéristique qu’elle est moins visible, on dit aussi, itinérance invisible. Étant beaucoup plus à risque d’agression, d’harcèlement et de violence dans l’espace public que leurs homologues masculin, les femmes mettent en place une multitude de stratégies pour éviter de s’y retrouver. Elles iront sur les divans d’ami.es, resteront dans une relation à leur détriment pour conserver un toit, habiteront avec des inconnus, etc.  Lorsqu’elles n’ont plus d’autres choix que la rue et les hébergements d’urgence, elles sont épuisées et très vulnérables. Leur détresse psychologique est grande, de plus en plus grande. Les ressources qui leur viennent en aide constatent une exacerbation des violences à leur égard et une complexification des problématiques qu’elles vivent.

Beaucoup de femmes se retrouvent à la rue car elles quittent une situation de violence, conjugale, intrafamiliale, sexuelle et/ou financière. Des études démontrent que c’est près du ¾ des femmes en situation d’itinérance qui ont subi de la violence sexuelle. Le manque de place dans les lieux d’hébergement – pour violence conjugale et autres – ainsi que la difficulté d’accès aux services aggravent leur situation. Le Partenariat de prévention et de lutte à l’itinérance des femmes, qui regroupe 5 ressources d’hébergement pour femmes à Montréal, a comptabilisé plus de 25 119 refus pour manque de place pour l’année 2022-2023[1]. C’est 25 119 fois où une travailleuse doit refuser d’offrir un lit à une femme dans le besoin. C’est 25 119 fois où une femme en détresse se retrouve sans option. Partout nous entendons le manque de places en hébergement, mixte et non-mixte, de la part des travailleuses de rue. Le manque de ressource adaptées et de reconnaissance envers celles qui viennent en aide à ces femmes est criant.

À La Marie Debout, les femmes en situation d’itinérance nous disent ne pas fréquenter les ressources d’hébergement mixtes. Elles ne s’y sentent pas en sécurité. Les installations ne répondent pas à leur besoin d’intimité et donc ne leur permettent pas de se reposer. Les règles de fonctionnement ne correspondent pas à leur mode de vie (travail du sexe, consommation, etc.). Plusieurs préfèrent dormir dehors ou se déplacer dans des quartiers éloignés. De plus en plus de femmes fréquentent notre centre pour dormir, manger et se procurer des produits de première nécessité tels des produits menstruels, du savon, des tuques, des sous-vêtements. Pour l’année 2022-2023, plus du tiers de nos interventions touchaient ces difficultés matérielles et financières. Les demandes liées à la nourriture sont en augmentation puisque, dans le quartier Hochelaga Maisonneuve, un seul organisme offre des repas chauds gratuits. Il est mixte et bondé. Le format des paniers alimentaires ne correspond pas à la réalité des femmes en situation d’itinérance car elles n’ont pas de lieu d’entreposage ni d’espace pour transformer les aliments.

Lorsqu’elles tentent d’entreprendre des démarches pour se trouver un logement en plus du manque important de logement sociaux, subventionnés et avec soutien communautaire, les femmes font face à de nombreux défis en raison de discriminations croisées : monoparentalité, âgisme, racisme, transphobie, stigmatisation par rapport au fait d’avoir un faible revenu, stigmatisation par rapport au fait d’avoir un vécu psychiatrique, difficulté de trouver des logements qui répondent à leurs besoins en termes de nombre de chambres pour les enfants et de proximité des services, par exemples.

Quand on sait que le loyer moyen à Montréal était de 796$ en 2018 et qu’il est aujourd’hui de 1332$ dans Hochelaga-Maisonneuve[2],

Quand on sait qu’une personne sur 10 au Québec à recourt à une banque alimentaire, et que 45% des demandes proviennent de familles[3],

Nous acceptons que des humaines aient à choisir entre se nourrir et se loger.

Quand on sait que plus de la moitié des Québécoises ont un salaire annuel inférieur à 30 000$ et que les représentants de l’Assemblée nationale s’offrent une augmentation salariale de ce montant[4],

Quand on sait que de travailler à temps plein au salaire minimum est insuffisant pour répondre aux besoins de base,

Quand on sait que les travailleuses du care – celles soignent, éduquent, écoute, accueillent, soutiennent – sont exploitées, sous-payées, surchargées et confrontées à des conditions de travail déplorables,

Nous acceptons que les femmes soient moins bien rémunérées et qu’elles vivent dans la pauvreté.

Il est impératif de prendre responsabilité collective face aux enjeux systémiques qui maintiennent les femmes dans la précarité et l’insécurité.

 

NOS REVENDICATIONS

Demain, c’est la Journée internationale pour l’élimination de la violence faites aux femmes.

Mais dès aujourd’hui, nous EXIGEONS que toutes puissent avoir un toit sur la tête. Nous revendiquons donc :

  • Une ressource d’hébergement d’urgence permanente, non-mixite pour femmes et à haut seuil d’acceptation dans l’est de Montréal.
  • Nous joignons nos voix au FRAPRU et revendiquons la construction impérative de 50 000 logements sociaux, abordables, salubres, adaptés aux besoins des femmes et des familles, avec soutien communautaire, dont 22 500 à Montréal.

Nous rappelons l’importance du travail des centres de femmes, comme La Marie Debout, qui apportent une contribution particulière et essentielle à la lutte contre les violences faites aux femmes. Complémentaire aux organismes venant en aide aux femmes et aux services sociaux et de santé, notre spécificité est de mettre en lumière les violences invisibles et de mobiliser les capacités des femmes à l’amélioration de leurs conditions.

Nous EXIGEONS une reconnaissance du travail des centres de femmes et de toutes les travailleuses du ‘’care’’ à la hauteur de leur contribution sociale.

C’est pourquoi nous revendiquons :

  • L’augmentation du financement récurent à la mission globale des centres de femmes et des ressources qui leurs viennent en aide.
  • Nous revendiquons l’amélioration des conditions de travail et de la rémunération des travailleuses du Care. Nous appuyons en ce sens les revendications de la FIQ et du Front commun
  • Nous revendiquons une augmentation du salaire minimum à 20$ de l’heure et une augmentation de l’aide financière de dernier recours à… pourquoi pas 2000$ comme la PCU?

Nous EXIGEONS d’être vues, entendues et considérées. Nous refusons que les violences, la précarité et les injustices qui touchent les femmes soient ignorées.

Nous EXIGEONS une reconnaissance des besoins spécifiques des femmes, c’est pourquoi nous revendiquons :

  • L’application systématique de l’approche d’analyse différenciée selon les sexes intersectionnelle, aussi dite ADS+, au développement de toutes les mesures et à tous les paliers décisionnels.

Dès aujourd’hui, nous devons prendre responsabilité collective face aux enjeux systémiques qui maintiennent la moitié de la population dans la précarité et la violence. Pouvoirs politiques, médias, citoyens et citoyennes, nous avons besoin de toute la population pour remédiées aux violences genrées qui se perpétuent et s’accentuent.

Ça tombe bien, les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes commencent demain. Faites partie de la solution!

Le comité 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes : Salma Chraibi, Karine Gravel, Catherine Paquet et Julie Perron

[1]Gerbet, T. (2023, 15 septembre). « J’ai peur de mourir » : La proportion de femmes augmente parmi les sans-abri. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2010259/femmes-itinerantes-sans-abri-quebec-sommet

 

[2] Revue « L’itinérance à Montréal : au-delà des chiffres » – 2e édition. (2023, 29 septembre)., p.74, https://rapsim.org/2023/09/29/revue-litinerance-a-montreal-au-dela-des-chiffres-2e-edition/

 

[3] Un Québécois sur dix a recours à une banque alimentaire en 2023. (2023, 25 octobre). La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/2023-10-25/un-quebecois-sur-dix-a-recours-a-une-banque-alimentaire-en-2023.php

 

[4] Campagne | 12 jours d’action. (s. d.). 12 jours d’action. https://www.12joursdaction.com/campagne

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