Un cœur vidé, mais plein à la fois

Joëlle Thérien

Un texte de Joëlle Thérien, cocréatrice du projet Santé-vous bien !

Lorsqu’on m’a proposé d’écrire un texte à partir d’une photographie tirée d’une activité « brico nature » que j’ai réalisé avec mes enfants, j’étais remplie d’enthousiasme. J’ai imaginé des mots réconfortants et joyeux en pensant à ce coeur qui s’envole pour réconforter nos âmes à toutes.

Depuis, j’ai perdu de cet élan d’espoir suite à des événements qui se sont produits dans ma vie personnelle, mais surtout dans l’actualité politique. Notre monde s’effrite, c’est vrai, mais il est aussi en train de se rebâtir. Dans les premiers mois de la crise, j’ai rêvé à de nouvelles solidarités en construction : achat local, autonomie alimentaire, meilleure reconnaissance du travail des femmes qui sont au front, etc. Lorsque je pense à ce projet de relance économique ancrée dans le béton, je trouve que j’ai été bien naïve.

Cette relance aurait pu être au bénéfice de toute la population. L’occasion, par exemple, de consolider un réseau de garderie nationale universelle et accessible à tous. Bien chanceux (et peu nombreux) sont les parents qui peuvent avoir une place dans un CPE. En revanche, ils peuvent compter sur des garderies privées subventionnées ou non (le cas échéant, le coût est rarement en deçà de 35 $). Ces femmes qui ouvrent leur coeur (et souvent leur demeure) à nos enfants pour nous permettre d’aller travailler. Depuis le début de la crise, elles sont nombreuses à avoir fermé leur garderie. Lorsqu’il y a une pénurie de places en service de garde, qui s’occupe des enfants ? Pour la majorité d’entre nous, ce sont les mères, les grand-mères ou encore des adolescentes qui prendront soin de cette jeunesse québécoise. Elles mettent tout leur cœur à accomplir, souvent gratuitement, un travail peu reconnu et peu valorisé.

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On dit que les Québécoises sont chanceuses. Les hommes sont plus impliqués dans l’accomplissement des tâches ménagères que dans bien d’autres pays du monde. Mais, il n’en demeure pas moins que les gardiennes du « care », c’est nous, les femmes!

Je n’aime pas utiliser ce terme anglais par respect pour mes prédécesseur.eures qui se sont battu.es pour que nous ayons le droit de vivre en français. Mais, en traduisant « care » par « prendre soin », on perd l’essence de ce qui nous anime profondément… Mieux comprendre ce concept m’a permis d’apprivoiser ce mal-être qui m’habite par moment et que j’observe chez d’autres femmes.

Comment télétravailler l’esprit en paix lorsque les enfants s’ennuient, sont collés devant des écrans ou qu’ils ont besoin d’une personne aimante et patiente pour les écouter ? Nombreuses sont celles qui ont volontairement réduit leurs heures de travail ou délaisser leur emploi pour prendre soin des enfants alors que les garderies et les écoles étaient fermées. Il parait naturel que la personne qui gagne le moins d’argent dans le couple se sacrifie pour se consacrer 24/7 au bien-être de tous.

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Malgré tout le cœur que j’y mets et les paroles encourageantes que j’entends, un mal-être m’habite… Je me sens mal de ne pas faire les activités de la semaine proposées par l’enseignante bienveillante qui s’adapte de son mieux à cette nouvelle réalité. Je souffre intérieurement lorsque mon conjoint fait une xième crise d’angoisse. Je suis inquiète de voir la santé mentale et physique de mon père se détériorer… Je suis épuisée émotivement.

Mon coeur est rempli et vide à la fois. Je ne peux pas dire « I DON’T CARE » puisque l’équilibre de mon écosystème familial repose sur moi. Je suis à la fois cheffe d’orchestre et musicienne. Je suis chanceuse, d’autres personnes jouent avec moi. Il y a des beaux moments magiques. Il n’en demeure pas moins que c’est moi qui porte la charge mentale et émotive du bien-être de mes proches. Le « care », c’est un travail que j’accompli gratuitement 24/7. C’est ce que la société attend des femmes sans le nommer directement.

Je ne suis pas seule. Ça me console et me désole que nous soyons toutes contraintes de surmonter des obstacles d’une similitude invraisemblable… Nous sommes connectées dans notre détresse personnelle et collective. Je suis de tout cœur avec les femmes et particulièrement celles qui doivent surmonter des défis plus énormes que les miens. Je nous souhaite que les décideurs s’efforcent de comprendre le fardeau que les femmes portent tous les jours. Comme le disaient si bien mes prédécesseures, le privé est politique. J’ajouterai que cette souffrance qui m’habite n’appartient pas qu’à moi, elle est aussi politique.

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  • Je suis en accord avec tout ce que tu as dit. Mais je pense que la reconnaissance du travail émotionnel fait surtout pour des femmes est plus répandu que jamais…c’est juste que c’est un processus lente pour le valoriser!!!!

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