Discours Femmes et itinérance

Marie Langagée

Discours lu à l’occasion d’une levée de drapeau blanc organisée conjointement avec le centre Info-Femmes et leur projet Opération Cocon au bureau de la mairie de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve pour lancer les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2024. La lecture de ce discours fut suivie d’une levée de drapeau blanc.

Nous sommes ici réunies pour souligner le début des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, comme l’année dernière et tant que ça ne changera pas, nous venons vous parler d’itinérance des femmes.

Pour vous situer, rappelons que La Marie Debout est le seul espace non mixte, pour femmes, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.  Nous accueillons quotidiennement, et depuis de nombreuses années, des femmes sans-abris, qui pratiquent le travail du sexe et qui consomment des drogues. Depuis août, plus de la moitié des visites au centre sont celles de femmes sans-abris venues prendre un répit, chercher du soutien, boire, manger et dormir. Depuis quelques années, nous offrons des collations plus soutenantes et distribuons des trousses de dépannage aux femmes (petite culotte, savon, lingettes nettoyantes, produit d’hygiène féminine, condom, etc.). Chaque année, la quantité de nourriture et de trousses que nous distribuons augmente drastiquement. Le budget que nous attribuons à ces articles aussi.

Comme centre de femmes, nous effectuons un travail essentiel auprès des femmes en situation d’itinérance, car nous œuvrons en première ligne, offrant un lieu d’accueil digne et doux à celles qui viennent, mais aussi au niveau politique, en tenant ce discours dans les bureaux de la mairie d’arrondissement. Surtout, notre approche globale féministe et intersectionnelle nous permet d’accompagner les femmes à leur rythme, selon leur priorité et dans leur entièreté. Les femmes en situation d’itinérance en ont grandement besoin.

Dans les dernières semaines, plusieurs femmes se sont présentées au centre dans de très très très mauvais état. Il n’est pas rare qu’elles éclatent en sanglot une fois passé la porte du centre, pouvant enfin se déposer dans un endroit sécuritaire. Certaines nous ont confié s’être fait battre et violer dans l’espace public, certaines sont entrées le visage en sang. Comparé à l’année dernière, nous observons une augmentation significative du nombre de tentes sur l’avenue Notre-Dame. Nous savons que plusieurs femmes y habitent. En plus d’être à la merci des éléments, elles sont plus susceptibles de vivre des violences.

Nous voulons rappeler que l’itinérance des femmes est moins visible que celle des hommes. On parle d’ailleurs d’itinérance invisible. Pour éviter la violence de la rue, les femmes mettent en place une multitude de stratégies. Elles vont sur les divans d’ami.es, restent dans une relation violente à leur détriment, consomment et marchent toute la nuit, vivent dans leur auto, etc. Elles sont aussi moins enclines à s’identifier comme personne en situation d’itinérance ce qui rend l’élaboration d’un portrait représentatif de la situation difficile. Malgré cela, le nombre de femmes dans la rue augmente visiblement ET statistiquement. Selon les données du dénombrement de la santé publique de Montréal, en 2022, 29% des personnes en situation d’itinérance sont des femmes[1]. Malgré cet état de fait, les politiques, programmes et services tiennent peu compte de leurs réalités spécifiques[2].

Plus les femmes sans abris sont visibles, plus elles sont à risque de violence. Et multiples sont les violences qui les mènent et les maintiennent à la rue.

Beaucoup de femmes se retrouvent à la rue, car elles quittent une situation de violence, qu’elle soit conjugale, sexuelle, coercitive, financière et/ou intrafamiliale. Chez les jeunes, le motif principal menant à la rue est la violence familiale. Chez les femmes sans-abris en général, les mauvais traitements sont le motif principal menant à la perte de leur logement. Plus de 91% des femmes en situation d’itinérance ont été victimes d’agression au cours de leur vie[3].

Le passage en établissement marque de manière importante le parcours des femmes vivant l’itinérance et constitue souvent une source de victimisation. Un nombre alarmant de jeunes femmes dans les refuges d’urgence arrivent de la DPJ. Aussi, une grande partie des femmes vivant de l’itinérance ont un parcours en psychiatrie, dont les expériences sont souvent traumatisantes. Elles vivent également beaucoup de stigmatisation lorsqu’elles tentent d’obtenir des services et des soins, cumulent les mauvaises expériences, et éventuellement, perdent confiance.

Le passage en milieu carcéral impacte beaucoup de femmes sans-abris. Les femmes dans la rue sont sur judiciarisées et victimes de profilage dans l’espace public et les femmes judiciarisées sont plus sujettes à se retrouver dans la rue. Cette réalité affecte particulièrement les femmes des premières nations et Inuit. Ces dernières sont d’ailleurs surreprésentées au sein de la population itinérante féminine; représentant 1% de la population totale du Québec, ce sont 10% de répondantes du dernier dénombrement[4].

Les femmes en situation d’immigration sont de plus en plus nombreuses dans les ressources d’urgence en itinérance. De nombreuses violences institutionnelles les maintiennent dans la précarité ; les délais de traitement des demandes, la non-reconnaissance des diplômes, la diminution des mesures d’accueil et tant d’autres, sans parler de la discrimination ordinaire et quotidienne.

Nous pourrions nous étendre longuement sur les violences auxquelles se heurtent les femmes avant et après s’être retrouvées à la rue. Nous voulons surtout souligner que pour prévenir et lutter contre l’itinérance des femmes, il faut agir sur les structures qui perpétuent les violences institutionnelles et interpersonnelles. Amplifiées par l’instabilité résidentielle, ces violences mènent très souvent au traumatisme et au stress chronique.

Il manque de ressources adaptées aux besoins et aux réalités des femmes sans-abris. Très concrètement, les femmes qui arrivent à La Marie Debout, celles qui se tournent vers les ressources d’hébergement d’urgence, vivent des problématiques de plus en plus complexes. Elles arrivent de plus en plus maganées, de plus en plus épuisées, de plus en plus craintives. Elles ont besoin de sécurité et d’accueil sans contrainte.

Depuis les dernières années, les 5 refuges pour femmes du Partenariat de prévention et de lutte à l’itinérance des femmes cumulent plus de 25 000 refus pour manque de place annuellement. En ce moment, il y a déjà une pénurie de place en hébergement et ce n’est pas encore l’hiver. Le seul hébergement mixte dans notre quartier a déjà cumulé 700 refus pour manque de place en octobre dernier[5].

Les femmes sans abris d’Hochelaga-Maisonneuve ont besoin d’un hébergement non mixte à haut seuil d’inclusion, sans contrainte et sans obligations de suivi. Elles ont besoin de ressources avec des règles de fonctionnement adaptées à la consommation et au travail du sexe. Elles ont besoin de ressources à plus petite échelle, avec des chambres individuelles avec des portes qui se barrent. Le modèle de dortoir et de lit de camp ne leur permet pas de se sentir en sécurité. Elles ont besoin de haltes répit non mixtes ouvertes à longueur d’année. Elles ont besoin de ressources spécifiques pour les mères avec enfant, particulièrement pour les femmes issues de l’immigration et celles des premières nations et Inuit. Elles ont besoin de ressources adaptées aux femmes vieillissantes.

Il est impossible de parler d’itinérance sans parler de logement. Au-delà des ressources d’urgence, nous partageons le constat que l’approche ‘’un toit d’abord’’ a peu d’effets à long terme. Évidemment, la bonification du parc de logement social est une priorité, mais les femmes les plus désaffiliées ont besoin d’une diversité de ressources. Le PPLIF parle d’un continuum d’habitations. Un peu comme l’ont développé les ressources en violence conjugale, il faudrait un continuum de logement avec soutien (première étape, 2e étape, etc.). Plus d’hébergement d’urgence, oui, mais aussi des logements de transitions entre le court terme et le long terme. Il faut également diminuer les critères d’accès aux logements subventionnés et réfléchir à la reconnaissance des revenus des travailleuses du sexe.

En cette journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes, pour pallier les besoins non répondus des femmes en situation d’itinérance, La Marie Debout profite de cette tribune pour revendiquer :

  • Une ressource d’hébergement d’urgence permanente, non mixte pour femmes et à haut seuil d’acceptation dans l’est de Montréal.
  • Le développement de ressources de transitions adaptées au rythme des femmes
  • L’ouverture des haltes répit à longueur d’année pour assurer aux femmes sans abris la possibilité de se réchauffer l’hiver, se refroidir l’été, avoir accès à des toilettes et aux produits menstruels.
  • À la Ville de Montréal et au gouvernement du Québec, un moratoire sur les démantèlements des campements tant que les alternatives adaptées ne seront pas déployées.
  • Au ministère de la Santé et des Services sociaux, l’augmentation du financement récurrent à la mission globale des centres de femmes et des ressources qui leur viennent en aide. Et, en ce qui nous concerne, la reconnaissance du travail des centres de femmes en violence.
  • L’application systématique de l’approche d’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle, aussi dite ADS+, au développement de toutes les mesures et à tous les paliers décisionnels afin que les besoins particuliers des femmes, mais aussi des personnes de la diversité de genre, des femmes des premières nations et inuites, des femmes mères, des femmes immigrantes, vieillissantes et handicapées ne soient pas oubliées.

Aujourd’hui, nous portons la voix de celles qu’on ignore. De celles qui subissent, résistent et survivent à la violence. Ensemble, refusons l’indifférence ! Notre devoir collectif est d’élever et de soutenir chaque femme.

Que cette journée ne soit pas seulement un moment de réflexion, mais un appel à l’action. Nous ne reculerons pas, tant que chaque femme n’a pas droit à la sécurité et à la dignité qu’elle mérite. Le temps de la compassion et de la solidarité est maintenant !

Catherine Paquet co-coordonnatrice de La Marie Debout

Salma Chraibi, membre de La Marie Debout

[1] Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP), Direction des services généraux et partenariats urbains (DSGPU) du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Denis, V., Cote-Colisson, S., Turcotte, E., Forgues, K., Jalbert, Y., Larouche, A., Latimer, E., & Atlas et Axis. (2024). DÉNOMBREMENT 2022 DES PERSONNES EN SITUATION D’ITINÉRANCE VISIBLE À MONTRÉAL: Portrait selon le genre et l’orientation sexuelle. https://ccsmtlpro.ca/sites/mtlpro/files/media/document/DRSP_Pub_2024_11_18_DenombrementItinerance_6_GenreOrientationSexuelles.pdf

[2] PPLIF, (2024). Les voix des femmes, État de la situation sur les besoins des femmes en difficulté de Montréal, 2024, 56p.

[3] Schwan, K., Versteegh, A., Perri, M., Caplan, R., Baig, K., Dej, E., Jenkinson, J., Brais, H., Eiboff, F. et Pahlevan Chaleshtari, T. (2020). L’État des besoins en matière de logement et de l’itinérance chez les femmes au Canada : Sommaire exécutif. Hache, A., Nelson, A., Kratochvil, E. et Malenfant, J. (Eds). Toronto, Ontario : Presse de l’Observatoire canadien sur l’itinérance

[4] Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP), Direction des services généraux et partenariats urbains (DSGPU) du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Denis, V., Cote-Colisson, S., Turcotte, E., Forgues, K., Jalbert, Y., Larouche, A., Latimer, E., & Atlas et Axis. (2024). DÉNOMBREMENT 2022 DES PERSONNES EN SITUATION D’ITINÉRANCE VISIBLE À MONTRÉAL: Portrait selon le genre et l’orientation sexuelle.

[5] Poirier, Y. (2024, 20 novembre). Démantèlement du campement sur Notre-Dame : un moratoire exigé. Le Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2024/11/20/demantelement-du-campement-sur-notre-dame-un-moratoire-exige

 

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